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___Aujourd’hui nous allons parler du plus brillant chimiste du XXème siècle. Cet homme a sauvé plus de monde que personne avant lui. C’est aussi un criminel de guerre, un criminel contre l’humanité et un assassin en masse. Un génie et un meurtrier sans cœur. Son parcours scientifique et les inventions qui en découlent sont la preuve qu’en matière de science, la morale est une notion parfois floue. Alors parlons de Fritz Haber.
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Jeunesse et études
___Fritz Jacob Haber est né en 1868 à Wroclaw – qui se trouve aujourd’hui en Pologne mais qui à l’époque était en Prusse, puis en Allemagne lors de la réunification de cette dernière. Il a grandi sans présence maternelle, sa mère étant morte quelques semaines après sa naissance, dans une famille juive peu pratiquante. Ayant vécu pendant les premières décennies du XXème siècle en Allemagne, cette information est très importante. Son père travaillait dans la chimie et plus précisément dans le commerce de colorants. Il a été éduqué dans le plus grand respect des valeurs germaniques, ce qui fait de lui un fervent patriote et ceci est très important pour la suite.
___L’Allemagne comptait, à la fin du XIXème siècle, 11 fois plus de savants qu’en France. A l’époque, Haber obtient son doctorat en chimie organique en 1891 à l’âge de 23 ans. Il décide de devenir protestant pour sa carrière car la plupart des voies professionnelles étaient fermées aux juifs à l’époque. Il épouse Clara Immerwahr en 1901 qui était, comme lui, une ancienne juive reconvertie et doctorante en chimie, chose très rare.
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Sauver et détruire l’humanité
___Une nouvelle tombe en 1898 quand Sir William Crookes, le président de la British Association for Advancement of Science, annonce que la population mondiale de l’époque d’environ 1,5 milliards de personnes est trop conséquente pour la production agricole. Il prévoit des famines et des guerres à l’échelle mondiale avant 1931 pour rééquilibrer les choses. Il dit que l’une des solutions serait de synthétiser les engrais azotés donc les nitrates à partir d’ammoniac qui serait issu du diazote qui compose 80% de l’air.
___Le problème de cette solution est que le diazote présent dans l’air est une molécule extrêmement stable car elle a trois liaisons covalentes, donc il est difficile de la casser pour récupérer les azotes séparément.
___Mais ce n’est pas la préoccupation des pays à l’époque, car suite à plusieurs crises au début des années 1900, tout le monde voit venir une guerre de vaste amplitude. Les pays belligérants opèrent alors à une course à l’armement. Mais la confection d’explosifs, aussi bien pour la poudre à canon que pour les obus, nécessite énormément de nitrates ce qui est un vrai problème car n’ayant déjà pas de quoi produire des engrais pour nourrir la population, il est difficile d’imaginer les Etats réquisitionner toute la production de nitrates uniquement pour la production massive d’explosifs.
___Afin de rendre l’Allemagne autonome vis-à-vis de la production de nitrates, Fritz Haber décide de s’affairer à la synthèse des nitrates à partir du diazote. Pour lui, cela assurerait à l’Allemagne de disposer d’autant d’explosifs qu’elle le désire. En 1909 il invente le moyen qui parvient à fixer l’azote contenu dans l’air pour créer de l’ammoniac. En 1913, il met au point le procédé de synthèse de l’ammoniac avec Carl Bosch. A l’heure actuelle, cette invention est considérée comme l’une des plus grandes avancées techniques et scientifiques du XXème siècle. Haber est heureux car à présent l’Allemagne peut produire autant d’explosifs qu’elle le souhaite. Il se trouve qu’il a aussi résolu par ce biais le problème de la production d’engrais. Donc il a sauvé l’humanité de la famine. Il recevra par ailleurs le prix Nobel en 1918 pour cette découverte dans le cadre du « bien-être » de l’humanité, ce qui posera quelques problèmes car Haber est avant tout un criminel de guerre.
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Premiers crimes de guerre
___Malgré les conventions de La Haye qui interdisent l’utilisation d’armes chimiques dans le cadre de la guerre, Haber pense que l’utilisation de gaz de combat pourrait être un avantage important pour l’Allemagne. Il faut noter que déjà en 1913, les Français testaient le gaz lacrymogène, donc Haber pensait que si eux le faisaient, alors les Allemands pouvaient le faire aussi.
___Toutefois, Haber pense que le bromacétate d’éthyle, la molécule composant le gaz lacrymogène, n’est pas assez puissant car ce n’est qu’un incapacitant. Il entrevoit alors la possibilité d’utiliser le chlore à la place. Déjà le chlore est plus lourd que l’air : il reste bien en place dans les tranchées. De plus, il peut liquéfier les muqueuses et les tissus mous quand il est concentré, ce qui a pour effet de noyer ceux qui en inhalent dans leurs propres tissus.
___Il est nommé capitaine par ordre express du Kaiser pour aller tester l’utilisation du chlore en combat. Le 22 avril 1915, 168 tonnes de chlore sont déployées au nord d’Ypres en Belgique sur des tranchées de soldats canadiens sous la supervision de Haber. Le bilan est de 5000 morts, 15000 blessés, ce fut terrifiant et fulgurant à tel point que les Allemands réussirent à percer une brèche de 7km des tranchées ennemies. Pour les pays de la Triple Entente, il s’agit d’une violation flagrante des conventions de La Haye mais les Allemands répondent qu’il s’agit d’un déploiement de gaz dû à l’ouverture de bonbonnes et non à l’emploi d’obus contenant du gaz ; comme il est spécifié dans les conventions. Haber rentre chez lui fier mais sa femme le prévient en lui disant que la science a pour vocation d’améliorer le monde et non de le détruire mais Fritz Haber s’en moque. Le lendemain, elle est retrouvée morte. Elle se serait « suicidée » mais aucune enquête n’a jamais été ouverte et Haber reparti immédiatement en guerre – ce qui n’est pas l’attitude normale d’un homme venant de perdre sa femme.
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Amélioration de ses armes chimiques
___Suite à tout cela, il va chercher à obtenir un gaz encore plus nocif et il détermine la constante de Haber qui définit en combien de temps un homme meurt en fonction de la concentration d’un gaz donné. Il met au point un gaz extrêmement efficace appelé l’ypérite en hommage à la bataille d’Ypres. On connaît plus communément ce gaz sous le nom de « gaz moutarde », qui est beaucoup plus lourd que le chlore et qui cause des dommages effroyables avec un simple contact cutané, ce qui contraint les armées ennemies à équiper leurs soldats de combinaisons intégrales. Il ne sera jamais poursuivi pour ses crimes de guerre car les pays comme le Royaume-Uni en 1919 ou l’Espagne en 1923 ont aussi utilisé ce gaz.
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Il est important de noter que, de nos jours, les nitrates constituent la première source de pollution des océans.
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Conclusion et ironie de l’Histoire
___Le procédé Haber-Bosch permet de nos jours de nourrir plus de 2 milliards de personnes, ce qui est colossal. Il partira d’Allemagne avec la montée du régime Nazi, et mourra en 1934 à Bâle en Suisse.
___Cependant, l’Histoire, qui adore l’ironie, ne s’arrête pas là. A un moment de sa vie, Haber travaillait sur des pesticides dans le but d’augmenter le rendement agricole. Le gaz qu’il a obtenu était radical, mais sentait surtout extrêmement mauvais, ce qui permettait à n’importe quel humain qui s’en approchait de s’en éloigner à l’odeur. Les Nazis se servirent de ce gaz quelques années plus tard mais le modifièrent pour le rendre inodore. Le gaz obtenu est le tristement célèbre Zyklon responsable de plus de 3 millions de victimes dans les chambres à gaz.
___On peut tirer du parcours de Fritz Haber que, comme le disait Shakespeare dans Hamlet, rien n’est bon ni mauvais en soit, tout dépend de ce que l’on en pense. Haber a permis de sauver l’humanité en créant des engrais alors qu’il voulait augmenter la production d’explosifs et il a créé le gaz qui a causé l’un des plus grands génocides de l’Histoire en voulant augmenter la production agricole. Le pouvoir scientifique est donc terriblement puissant.
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Un article de Lubin Piedefer
Publié pour la première fois dans Les Cris Vains n°2
Illustration de la Une par Handelsblatt Global et Getty
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